MYSTIQUE DE L'ÂGE  

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3. Mythes ou réalité ?

La population du Québec vieillit... une catastrophe ?

Le Québec vieillit, entend-on répéter partout. Un vent de panique semble se lever lorsqu'on évoque cette question, si l'on en croit les médias québécois qui, loin de faire la part des choses, transmettent des messages plus alarmants et sensationnalistes les uns que les autres. Regardons quelques chiffres de plus près.

Si la tendance se maintient, la courbe démographique indique que, de 1996 à 2026, la proportion des 65 ans et plus aura presque doublé (1) : actuellement les personnes de 65 ans et plus forment 14,4% de la population québécoise et on prévoit qu'en 2026, ce sera près de 25%.

D'accord, mais ça veut tout de même dire qu'en 2026, 75% de la population sera plus jeune que 65 ans.

Avant toute autre remarque, permettez-moi celle-ci : il faut faire preuve de prudence quand on a affaire à des chiffres et des statistiques. Si vous aimez faire des recherches, vous le savez, les auteurs et les chercheurs produisent toutes sortes de chiffres, souvent contradictoires ou en tout cas, très différents selon le type d'études, de méthode pour recueillir des données. Il faut faire attention au sensationnalisme de certaines conclusions ou interprétations de ces chiffres. Il faut faire attention aux chiffres tout court, car non seulement ils varient selon les sources, mais ils peuvent vouloir dire plusieurs choses différentes, selon ce qu'on cherche à trouver ou à prouver. En un mot, prudence ; en quatre mots, développons notre esprit critique.

Ceci étant dit, force est d'admettre que plusieurs problèmes sociaux pressants sont liés au vieillissement de la population et aux personnes âgées. Mon propos n'est certes pas de les nier, mais de souligner que l'âge n'est pas uniquement une source de problèmes. Les phénomènes mondiaux du vieillissement et du prolongement de l'espérance de vie correspondent aussi à l'amélioration des conditions de vie et de santé. Le fait que des défis de société nous attendent afin de nous ajuster au changement me semble une très bonne nouvelle... dans la mesure où plus que jamais, notre intelligence, notre imagination, notre capacité citoyenne à nous bâtir un monde plus juste, plus humain, progressiste, prendront le dessus sur la peur. Dans la mesure où nous ne laisserons pas les grandes corporations et les partis politiques à courtes vues capitaliser sur cette peur.

À mon sens, la question est : saurons-nous relever le défi de nous réinventer comme société où il fait bon vivre à tous les âges ?

Les personnes âgées sont dépendantes et malades ?

À en croire les médias et selon la croyance populaire, être vieille ou vieux semble vouloir dire « être placée dans un CHSLD et dépendre de la sonnette au poste de garde ». Pourtant les chiffres parlent d'eux-mêmes et me laissent songeuse :

Où vivent les personnes aînées ? (2)

96,2 % des personnes aînées vivent dans leur communauté
87,8% vivent à leur domicile
3,8% en CHSLD
7,9% en résidences privées
0,5% dans une ressource intermédiaire

À l'échelle mondiale, l'Organisation mondiale de la santé rappelle que :

L'immense majorité des gens restent en bonne santé et sont capables de prendre soin d'eux-mêmes en vieillissant. Une minorité de personnes âgées, surtout celles qui sont très âgées, sont handicapées au point d'avoir besoin de soins et d'aide pour la vie quotidienne. (...) Diverses mesures ont été élaborées pour prévoir les soins requis par une population vieillissante. L'une des projections les plus couramment utilisées évalue l'espérance de vie sans incapacité. Les observations les plus récentes pour les pays industrialisés indiquent que les incapacités graves chez les personnes âgées régressent au rythme de 1,5% par an. Selon des estimations américaines, par exemple, le nombre des personnes âgées gravement handicapées baissera de moitié entre 2000 et 2050 si les tendances actuelles se maintiennent. (3)

On peut lire dans le rapport de la consultation publique sur les conditions de vie des aînés du Québec (4) que la grande majorité des 65-74 ans et plus de la moitié des 75 ans et plus décrivent leur santé comme bonne, très bonne ou excellente. Selon les chiffres cités dans le rapport, seulement 6% des personnes de 65 ans ou plus ont besoin d'aide pour les soins personnels quotidiens (5).

Par ailleurs, 6 personnes aînées sur 10 trouvent que leur vie est peu stressante, alors que chez les 25-54 ans, seulement 3 personnes sur 10 la trouvent peu stressante. Ça veut dire que 4 personnes aînées sur 10 la trouvent stressante et 7 jeunes sur 10 la trouvent stressante (6).

Intéressant, non ?

Les personnes aînées sont des fardeaux pour la société ?

Les vieux ruinent le système de santé ?

Selon le rapport du Conseil canadien de la santé, rendu public le 23 février 2009, il est faux de croire que c'est la faute des personnes aînées si les coûts du système de santé augmentent : le vieillissement de la population ne compte que pour 11% de la croissance des coûts (7). Comment se fait-il que ce rapport soit passé pratiquement inaperçu dans les médias, si ce n'est que cette nouvelle défait complètement le sensationnalisme des premières pages habituelles.

Implication sociale et contribution des aînés

Un autre mythe veut que les personnes âgées n'aient plus rien à apporter à la société (8). Alors comment interpréter ces chiffres de 2006 à l'effet qu'au Québec, 360 000 personnes âgées de plus de 65 ans consacrent 2,5 millions d'heures par semaine à aider un proche. 22% des 60-69 ans s'occupent d'une personne en perte d'autonomie. Près du tiers des personnes de plus de 70 ans apportent un soutien financier à leurs petits-enfants (9). On évalue que la contribution fiscale des 65 ans et plus s'élève à 2,2 milliards et le travail bénévole de cette même tranche d'âge est évalué à 3,1 milliards $ (10).

Et que dire de toutes ces femmes et ces hommes qui œuvrent jusqu'à un âge très avancé dans les domaines de la science, de l'enseignement, de la recherche, de l'art, de la littérature, de l'accompagnement thérapeutique en tout genre et que sais-je encore ?

Comme le rappelle l'Organisation mondiale de la santé :

Les personnes âgées, cependant, jouent un rôle important dans des activités non rémunérées telles que l'agriculture, le secteur informel et le volontariat. De nombreuses économies dans le monde dépendent dans une large mesure de ces activités mais peu d'entre elles sont prises en compte dans l'évaluation des activités économiques nationales, qui ignorent et sous-évaluent souvent le rôle joué par les citoyens âgés (11). (...) La plupart des personnes âgées dans le monde continuent de travailler, avec ou sans rémunération, participant de manière importante à la prospérité économique de leur communauté. Le départ à la retraite à un âge déterminé (souvent entre 60 et 65 ans dans les pays industrialisés) n'est pas justifié économiquement ni biologiquement. En fait, dans les économies nationales dominées par l'agriculture, la plupart des personnes âgées, hommes et femmes, continuent de travailler à la ferme jusqu'à ce qu'elles soient incapables physiquement d'assumer leurs tâches, souvent à un âge très avancé. Et dans les pays industrialisés, il est de plus en plus admis que les personnes âgées doivent avoir tout loisir de travailler aussi longtemps qu'elles le désirent. L'âge ne devrait nullement empêcher une personne d'obtenir un emploi et les avantages associés à l'âge devraient en fait être reconnus et récompensés (12).

Trop vieille pour apprendre ?

Un autre préjugé tenace serait qu'en vieillissant, nous perdons nos capacités intellectuelles, notre faculté à apprendre, notre curiosité pour le monde qui nous entoure.

L'Organisation mondiale de la santé, qui préconise l'approche du vieillissement actif, un concept repris dans le rapport Blais (13), dénonce l'idée préconçue selon laquelle notre vie serait divisée en trois périodes distinctes et linéaires : apprentissage à la vie active, vie active, retraite. Il faudrait plutôt intercaler les périodes de formation, de travail et de repos, sans référence particulière à l'âge.

Depuis plusieurs années déjà, à l'échelle mondiale, le développement de l'éducation aux adultes (l'andragogie (14)) et de la gérontagogie proposent des modèles enthousiasmants d'apprentissage « tout au long de sa vie ». Ces modèles reposent justement sur l'idée qu'on n'arrête pas de penser et d'apprendre quand on sort de l'école, du CÉGEP ou de l'université pour aller sur le marché du travail. À propos de la gérontagogie, André Lemieux écrit :

La gérontagogie permet de mettre en valeur l'expérience et les capacités intellectuelles déjà acquises par les personnes âgées. Elle vise avant tout un enrichissement de soi et la participation à la vie sociale, culturelle et politique (15).

Depuis près de 40 ans maintenant s'est développé un réseau d'universités des aînés, comme nous l'explique Oriane Wion :

C'est en 1976 que la première université de ce type est apparue en Amérique, à l'Université de Sherbrooke. Depuis, celle-ci a développé 27 autres « antennes » dans dix régions du Québec. De son côté, le Dr André Lemieux, Ph. D, a fondé l'Institut universitaire du troisième âge de Montréal (ITAM), en 1983. La particularité de cette UTA est qu'elle est affiliée à l'Université Laurentienne de Sudbury, en Ontario. « L'Université Laurentienne s'est donné une vision d'éducation gratuite auprès des aînés. Les cours offerts par cette université nous sont acheminés en ligne. Le rôle de l'Institut est alors de former des groupes, auxquels sont attribués des tuteurs académiques qui les encadrent et les aident dans leurs apprentissages », d'expliquer le Dr Lemieux, président fondateur de l'Institut, psychologue et professeur à l'UQAM. « Le but des universités du troisième âge n'est pas de développer le savoir ni les connaissances des aînés, puisqu'ils sont déjà expérimentés, mais plutôt d'acquérir une sagesse scientifique qui leur permet d'analyser les choses avec une tout autre approche », souligne M. Lemieux. (16)

Si l'université des aînés n'est pas forcément votre tasse de thé, vous pouvez vous tourner vers les universités « ordinaires » qui accueillent de plus en plus d'étudiants et étudiantes dans la cinquantaine et la soixantaine, en leur offrant des programmes tenant compte de leurs besoins :

D'un point de vue andragogique, les adultes ne sont pas aussi dépendantes que les jeunes face au professeur. Elles préfèrent être responsables d'elles-mêmes et utiliser davantage leurs expériences personnelles pour apprendre. (...) La formation des adultes ne doit donc pas consister uniquement à leur transmettre des connaissances, mais doit aussi leur permettre de mettre en valeur et d'utiliser leurs propres connaissances et de participer à leur apprentissage (17).

Et pour le commun des mortels, l'autoformation (18), la lecture, les conférences, la culture, la création en tout genre, les rencontres stimulantes, les conversations riches et provocantes, bref, la vie peut être source de découvertes, de matière à penser, d'invitations à vieillir sans cesser d'apprendre.

Nous sommes en présence d'une nouvelle génération de vieillards. Ils sont libres, ils sont en bonne santé, ils ont un peu d'argent. Je souhaite qu'ils s'intéressent à la culture, car je crois qu'étant donné la difficulté où nous sommes de sauver la culture littéraire, artistique, philosophique, ce sont eux qui peuvent la sauver parce qu'ils ont du temps et de l'expérience. Ils empêcheront la culture de se perdre et la culture les sauvera. Ce n'est pas seulement l'exercice gymnastique qui empêche de vieillir, c'est l'exercice intellectuel. Lire, penser une chose un peu difficile entretient l'organisme mieux encore que ne peut le faire le sport.
(Michel Serres) (19)
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Notes :
(1) : Institut de la statistique du Québec. Vie des générations et personnes âgées : aujourd'hui et demain, vol. 1, Québec , juin 2004, p. 46-47.  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(2) : Gouvernement du Québec, ministère de la santé et des services sociaux. Un défi de solidarité : les services aux aînés en perte d'autonomie, Plan d'action 2005-2010, Québec, 2005, p. 17.  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(3) : Organisation mondiale de la santé. Mythe no 4 : Les personnes âgées sont fragiles. en ligne  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(4) : Lancée le 26 août 2007, la consultation a duré près de trois mois et a attiré plus de 4 000 participantes et participants. Pour lire le rapport en ligne, Préparons l'avenir avec nos aînés : en ligne  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(5) : Gouvernement du Québec, ministère des finances. Stratégies d'action en faveur des aînés : un milieu de vie amélioré, une participation encouragée. Québec, 2007, p. 12.  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(6) : Banque HSBC. L'avenir des retraites : la nouvelle génération senior. 3ième rapport annuel sur l'avenir des retraites, London, 2007.  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(7) : Voir communiqué : en ligne
Pour le rapport du Conseil, voir à la page 10 : en ligne  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(8) : Voir l'intéressant article de l'Organisation mondiale de la santé, Mythe no 5 : les personnes âgées n'ont plus rien à apporter. en ligne  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(9) : Ipso-Décarie. Sondage auprès des personnes de 55 ans et plus commandé par la Chambre des notaires du Québec et le Conseil des aînés. Rapport de recherche, Novembre 2006. p. 28.  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(10) : Banque HSBC, op. cit.  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(11) : Organisation mondiale de la santé. Mythe no 5, op. cit.  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(12) : Organisation mondiale de la santé. Mythe no 6, op. cit.   ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(13) : Préparons l'avenir avec nos aînés, rapport de la consultation publique sur les conditions de vie des aînés. 2008. en ligne  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(14) : Pour une intéressante exposition des principes de l'andragogie, voir : en ligne  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(15) : André Lemieux. « La gérontagogie : une invitation à vieillir sans cesser d'apprendre, article paru dans Vieillir en santé mentale », Revue Équilibre, vol 4, numéro 1, hiver 2009, p. 12-19. Association canadienne pour la santé mentale (ACSM), filiale de Montréal.  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(16) : Voir le texte de Oriane Wion à ce sujet : en ligne  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(17) : en ligne  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(18) : Définition de Wikipédia : L'autoformation (ou auto-formation) est un moyen d'apprentissage utilisant les capacités d'autonomie de l'apprenant. On parle aussi d'autodidaxie, qui permet de se former à son rythme à travers l'exploitation de ressources spécifiques ou non.  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

(19) : Anne Meert (1995). « Un entretien avec Michel Serres », Revue Générations, no 3, février 1995, p. 10-13. en ligne  ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

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