Vieillir... voilà un mot qui fait peur, comme on peut le constater un peu partout quand on ouvre la télévision, quand on lit les nouvelles, quand on regarde les publicités. On entend toutes sortes de clichés sur « le problème des personnes aînées » : elles sont responsables de la hausse des coûts de santé; elles sont des fardeaux pour la société; les aînés sont malades et dépendants, ils vivent tous en CHSLD… et encore et encore et des pires! Non, ça ne donne pas le goût de vieillir, ça c'est sûr !
Pourtant, derrière le voile des idées préconçues, se vivent des réalités bien différentes et certes plus encourageantes : une diversité impressionnante de femmes et d'hommes qui contribuent au bien commun de notre monde. Encore faut-il savoir les voir… encore faut-il vouloir les voir et les entendre.
Le voile de la peur autour « du fait de vieillir » nous empêche trop souvent de considérer avec simplicité, avec réalisme, ces étapes importantes de la vie. Bien sûr, il y a des pertes, des choses que l'on faisait plus jeune que l'on ne fait plus à 70 ans, le corps qui nous rappelle « qu'on n'a plus 20 ans ». Le défi du vieillissement, c'est d'apprendre à faire des deuils, mais c'est aussi d'apprendre à découvrir des sens nouveaux à sa vie.
Contrairement à une opinion répandue, la vieillesse est l'âge des découvertes.
(Benoîte Groult) (1)
N'oublions pas que vieillir c'est aussi apprendre à faire ses deuils et les femmes, du fait de leur longévité, sont particulièrement exposées aux pertes et aux deuils… Ce n'est pas toujours facile, mais faire son deuil, ce n'est pas seulement se libérer de la souffrance, c'est aussi apprendre à donner un sens nouveau à sa vie.
(Jacqueline, Grande Loge Féminine de France) (2)
Mais au fait, à quel âge devient-on une « personne aînée » ?
Cela varie selon les sources : si plusieurs personnes associent l'âge de la retraite à 65 ans comme l'entrée dans la vieillesse, on fixe parfois à 60, 55 ou même 50 ans l'âge de l'entrée dans le vieillissement (3).
Et pourtant, on parle trop souvent des personnes aînées et du « problème » du vieillissement comme s'il s'agissait d'un groupe homogène, comme si tout le monde vivait la même réalité. Pourtant, il doit bien y avoir des différences entre avoir 55 ans et en avoir 95 ! Et il y a certainement autant de différences parmi les 60 ans qu'il en existe chez les 30 ans. Pourquoi en serait-il autrement ?
On vit dans une société qui n'a pas compris que l'âge physiologique et l'âge social ou l'âge subjectif ne coïncident plus. On parle des « personnes âgées », mais cela recouvre des sous-groupes très hétérogènes. Cette tranche d'âge des 55 à 80 ans est toute neuve. C'est à notre génération d'explorer une nouvelle manière de vieillir.
(Olivier de Ladoucette, psychogériâtre) (4)
Le « problème » du vieillissement ?
Trop souvent ces deux mots, vieillissement et problème, sont accolés ensemble, sans plus d'examen. Mais ne serait-il pas plus juste de parler du problème qu'a la société avec le fait que l'être humain avance en âge tout au long de sa vie et ce, de sa naissance jusqu'à sa mort ? Comme dirait Jörg Blech, journaliste scientifique :
La vie est sexuellement transmissible et irrémédiablement mortelle. Nous le savons, nous préférons l'oublier et croire que l'échéance peut être repoussée par de la poudre de perlimpinpin ou des hypocholestérolémiants. C'est sur cette angoisse profonde et sur l'ignorance du grand public que les inventeurs de maladies s'appuient pour construire leurs lucratives illusions. (5)
Le « problème » n'est-il pas plutôt celui du refus de vieillir, de la peur chronique, la peur panique, que nous transmet notre société de l'illusion. Notre société qui laisse entendre que le vieillissement est une maladie (honteuse), et que bientôt, grâce au progrès de l'industrie pharmaceutique, des chirurgies en tout genre et de l'accès aux cellules souches, on pourra mettre sur le marché un vaccin, une pilule, une injection pour vaincre la maladie de la vieillesse… et nous pourrons alors nous convaincre tout à fait que nous sommes tous et toutes immortels ? ! J'exagère ? À peine, quand j'analyse les discours repris dans les médias, les campagnes de publicité des pharmaceutiques et des cosmétiques, les images véhiculées dans notre culture qui a du mal à s'accueillir dans son humanité « irrémédiablement mortelle ».
Je me demande pourquoi la personne que je suis aujourd'hui n'a pas d'image de la vieillesse à laquelle s'identifier. Qu'exclut l'image du « calvaire » ou du « problème » de l'âge ? Comment expliquer l'absence de représentation de personnes âgées menant une vie active, productive ? L'image de la vieillesse synonyme de déclin inévitable, de détérioration, est donc elle aussi mystifiée, avec cette différence qu'elle engendre les miasmes de la peur et non l'aura du désir. Cette peur s'accorde-t-elle avec la réalité ou la déforme-t-elle, rendant la vieillesse si terrifiante que nous devons en nier l'existence ? Cette peur, le refus qu'elle génère ne contribuent-ils pas à créer le « problème » de l'âge ?
(Betty Friedan) (6)
Les gens ont peur de vieillir parce qu'ils souffrent du regard que l'on porte sur eux.
(Olivier de Ladoucette, psychogériatre) (7)
L'âge de la retraite
L'âge de la retraite à 65 ans ? Cet âge été fixé au 19ième siècle, alors que l'espérance de vie était de 62 ans. Cela veut donc dire qu'on reconnaissait aux gens leur utilité jusqu'au bout de leur existence.
Lorsqu'on mentionne parfois la possibilité de repousser l'âge de la retraite à 68 voire 70 ans, cela provoque en général un tollé. Au-delà du fait indéniable qu'il puisse s'agir d'atteinte à des droits sociaux acquis chèrement dans notre société, il me semble que la question est plus complexe et plus intéressante qu'il n'y paraît.
Bien sûr, si je déteste mon travail, que je le trouve éreintant et stressant, que je ne m'y réalise pas, que je pense à ma retraite dès l'âge de 40 ans comme une libération, l'idée d'avoir à travailler plus longtemps va m'indigner. Mais il me semble que ce n'est pas l'âge le problème, mais plutôt le travail lui-même. En d'autres termes, il me semble que ce qu'il importe de changer aujourd'hui, c'est notre conception du monde du travail; un monde basé essentiellement sur la performance, la vitesse, le rendement, le « capital économique » plutôt que sur le « capital humain »; des bases qui nous rendent bien trop souvent malheureux ou malades et cela peu importe notre âge.
Travailler tout au long de sa vie, même après 65 ans, pourquoi pas, si on aime son travail, si on se sent utile, si cela nous enrichit, dans tous les sens du terme. Cela pourrait être une bénédiction, pas une calamité !
Voici ce que dit l'Organisation mondiale de la santé sur ce sujet :
La plupart des personnes âgées dans le monde continuent de travailler, avec ou sans rémunération, participant de manière importante à la prospérité économique de leur communauté. Le départ à la retraite à un âge déterminé (souvent entre 60 et 65 ans dans les pays industrialisés) n'est pas justifié économiquement ni biologiquement. En fait, dans les économies nationales dominées par l'agriculture, la plupart des personnes âgées, hommes et femmes, continuent de travailler à la ferme jusqu'à ce qu'elles soient incapables physiquement d'assumer leurs tâches, souvent à un âge très avancé. Et dans les pays industrialisés, il est de plus en plus admis que les personnes âgées doivent avoir tout loisir de travailler aussi longtemps qu'elles le désirent. L'âge ne devrait nullement empêcher une personne d'obtenir un emploi et les avantages associés à l'âge devraient en fait être reconnus et récompensés (8).
Problématiques liées au vieillissement, oui mais :
Beaucoup de facteurs influencent la vie, s'entrelacent pour expliquer les particularités de chacun et chacune.
S'il y a des aspects spécifiques selon l'âge, le sexe, la classe sociale, les revenus, la race, la condition physique, l'orientation sexuelle… c'est l'ensemble de ces aspects et de la société qu'il faut regarder pour comprendre la complexité des conditions de vie d'un individu ou d'un groupe spécifique : le monde du travail dans son ensemble, la répartition de la richesse dans son ensemble, les discriminations basées sur le sexe, la race, l'âge et les différentes exclusions tout au long de la vie, les conditions de logement, les rapports complexes à la santé, la prise en charge individuelle, la vie citoyenne dans son ensemble. Bref, cela ne fait guère de sens d'isoler les secteurs, de les penser « en silo », de les considérer séparément, sans tenir compte des autres conditions qui affectent un individu tout au long de sa vie. Cela ne fait guère de sens de considérer la question du vieillissement et des personnes âgées comme un univers clos, en marge du reste de la société. Comme si tous nos maux venaient du simple fait de notre âge.
Est-ce qu'on ne fait pas une grande erreur en séparant les réalités du vieillissement de celles de la société en général ? Est-ce qu'on ne contribue pas à voir le monde en compartiments qui nous isolent, ce qui, au bout de compte, participe à nous tenir à l'écart ? Cette attitude nous empêche de comprendre le monde et surtout, nous empêche de participer à le changer.
Mais, à partir du moment où l'on voit la société comme un tout complexe, les composantes du monde nous apparaissent toutes reliées les unes aux autres : ce qu'on retrouve dans une dimension agit aussi ailleurs; ce qui est à l'œuvre ici est aussi à l'œuvre là. Quand je travaille à la défense des droits d'un groupe ou pour toute autre cause de justice sociale, cela fait avancer TOUTE la société.
En ce qui concerne les personnes aînées, prenons comme exemples les dossiers de sécurité urbaine, de l'humanisation des services et des soins de santé, de l'accès à l'éducation et à l'apprentissage tout au long de sa vie. En langage simple, cela signifie que rendre un parc ou une intersection plus sécuritaire, ce n'est pas seulement les personnes âgées qui en profitent, c'est toute la population. Rendre les services de santé plus accessibles et plus humains, ce n'est pas seulement les personnes âgées qui en profitent, c'est toute la population. Apprendre tout au long de sa vie et se sentir membre active de la société, ce n'est pas seulement les personnes âgées qui en profitent, c'est toute la société qui en bénéficie.
Et si la critique du système capitaliste prédateur, de la société de surconsommation, de l'exclusion sociale, de la déshumanisation que soulève la question des personnes aînées devenait l'opportunité de faire … la révolution ? ! Ne dit-on pas que ce sont les baby-boomers qui entrent dans ce fameux vieillissement ? N'est-ce pas cette même génération qui a amené tant de changements sociaux dans les années 60 ?
Reste à voir si la prochaine révolution sera aussi tranquille que la dernière...
Je pense qu'il est temps de rechercher les moyens de mener une vieillesse épanouie à la lumière de notre propre expérience, de celles de femmes et d'hommes de 60 ans et plus qui ont dépassé ce refus et atteint une nouvelle vie. Il est temps de considérer la vieillesse telle qu'elle est, de mettre un nom sur ses valeurs et ses forces réelles, de ne plus voir en elle une détérioration, ou un déclin. Seulement alors, nous comprendrons que le problème ne réside ni dans l'âge - que l'on refuse ou que l'on repousse le plus longtemps possible - ni dans la ségrégation croissante des plus de 65 ans, écartés des activités utiles, importantes et agréables de la société pour permettre aux autres de conserver l'illusion de la jeunesse. (...) Il ne s'agit pas de savoir comment rester éternellement jeune - ni d'éviter d'affronter les problèmes de la société en les déplaçant sur l'âge. Il faut surtout avoir le courage de briser le cocon d'une jeunesse illusoire, de courir le risque d'accéder à un nouveau stade de l'existence, sans modèle à suivre, sans poteau indicateur, sans règle rigide ni récompense visible, de pénétrer dans l'inconnu existentiel de ces nouvelles années de vie qui sont à présent offertes et d'en profiter au mieux.
(Betty Friedan) (9)
Vieillissement ou développement ?
Pourquoi, à partir d'un certain âge, cesse-t-on de parler de « développement de l'individu » pour ne parler que de son « vieillissement », généralement dans le sens le plus négatif du terme, comme synonyme de décrépitude, de déclin ? Ce choix de mot n'est pas innocent et n'est pas sans effet grave. Et pourtant :
(...) si l'on veut enquêter auprès de femmes et d'hommes aux parcours différents, pourquoi ne pas envisager ces années supplémentaires en terme de poursuite - ou de renouveau - de leur rôle dans la société, pourquoi ne pas y voir une nouvelle étape du développement personnel ou spirituel ?
(Betty Friedan) (10)
Vieillir est le contraire de ce que l'on croit. Au moment où l'on n'a pas encore fait ses choix, on est alourdi par le poids de la tradition et des vérités enseignées. On croit aux idées répandues dans les journaux, à celles qui courent les rues. On adhère à tout. On porte le poids de sa famille, de sa tradition, de son groupe, de la société… J'ai, pour ce qui me concerne, vécu l'avancée en âge comme un détachement de tous ces poids-là. Vieillir c'est rejeter les idées préconçues, être plus léger.
(Michel Serres) (11)
Mon Dieu ! La souplesse ! Je n'avais jamais considéré la souplesse comme un bien inestimable. Toutes les priorités se modifient C'est aussi une découverte que l'on fait car, contrairement à une opinion répandue, la vieillesse est l'âge des découvertes.
(Benoîte Groult) (12)
La diversité des expériences
Permettez-moi cette évidence qui, au fond, n'en est peut-être pas une : les personnes âgées de 55 ans à 100 ans représentent une aussi grande diversité d'hommes et de femmes qu'il peut en exister entre les bébés et les adultes de 45 ans. L'Organisation mondiale de la santé va plus loin :
Les écarts individuels au plan biologique (pression artérielle ou résistance physique, par ex.) tendent à être plus marqués d'une personne âgée à une autre qu'entre jeunes: deux enfants de dix ans seront plus semblables que deux personnes de 80 ans. Cette diversité rend très difficile l'interprétation des résultats d'études scientifiques sur le vieillissement, souvent faites sur certains groupes bien définis de personnes âgées. Les résultats ne s'appliquent pas toujours à une grande proportion, ni même à la majorité des personnes âgées. (13)
Ce que l'on retrouve pour chaque tranche d'âge par contre, ce sont des problématiques qui ne se laissent pas arrêter par des considérations sur l'âge : la pauvreté, l'exclusion, l'analphabétisme, les problèmes de santé publique, les abus de toutes sortes, les défis et les embûches à la vie citoyenne, la recherche de réelle démocratie, la santé mentale, le suicide, la faim, les guerres et que sais-je encore ?
Notre vie commence avant notre naissance. Des recherches montrent qu'un fœtus sous-alimenté devient un adulte plus exposé à diverses maladies, notamment aux cardiopathies coronariennes et au diabète; il semble aussi qu'il vieillisse plus rapidement qu'une personne qui a été bien nourrie au début de sa vie. (…) Les différences, qu'il s'agisse du niveau d'instruction, du revenu et des rôles sociaux et des attentes d'une personne à tous les stades de sa vie accentuent la diversité du vieillissement. (…) La pauvreté est à l'évidence associée à une vie plus brève et à une moins bonne santé pendant la vieillesse. Les personnes moins fortunées tendent à vivre dans des cadres plus nocifs où elles ont plus de chances d'être exposées à des niveaux accrus de pollution de l'air à l'intérieur des habitations et au risque de maladies. (14)
Ce sont ces questions qui sont les « problèmes » que nous devons résoudre comme société, pas le vieillissement.